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epuis maintenant 5 ans, les messagers à vélo luttent ensemble pour l’amélioration de leurs conditions de travail. Plusieurs actions ont été tentées et plusieurs actions restent à venir…
Entrevue avec M. Sylvain Tremblay, messager à vélo et président de l’association des messagers à vélo de Montréal (AMBM). M. Nicolas Dalicieux vice-président et M. Vincent Courcy, vice-président.
Depuis combien de temps êtes-vous messager à vélo?
Sylvain Tremblay : Ça fait 7 ans cette année. Nicolas : Ça ferait 5 ans cette année mais j’ai été sur la liste noire depuis l’an dernier. Vincent : Ça ferait 7 ans et j’ai aussi été sur la liste noire l’an passé. Moi et Nicolas ne pouvons plus travailler dans ce domaine car les compagnies de messagers nous connaissent et ne veulent pas engager des employés qui voudraient améliorer leurs conditions et pour eux nous sommes des « faiseurs de troubles ».
En quoi consiste le métier de messager à vélo?
Notre job consiste à apporter des colis, enveloppes… d’un point à un autre de Montréal, en vélo et dans un temps souvent très court. Un client appelle la compagnie de messagerie pour un service urgent. Le répartiteur appelle le messager et le messager déplace ce document d’un point à l’autre. Nous recevons un petit pourcentage (commission) du prix chargé au client, ce qui peut nous donner seulement 0.75$ du voyage (0.75$|15 minutes). Ces services nous les faisons dans le temps promis quelles que soient la température et l’intensité de la circulation. C’est donc très dangereux. Nous sommes constamment sous pression et nous devons éviter toutes les pertes de temps en prenant des risques calculés. Il y a aussi plusieurs autres tâches essentielles à faire pour notre travail et pour lesquelles nous ne sommes pas rémunérés. Il faut préparer et réparer notre vélo, acheter le matériel nécessaire ( vêtements, pièces…) etc.…
Quel est votre statut d’emploi? :
Nous sommes de faux travailleurs autonomes.
Qu’est ce que cela signifie?
Un exemple parfait pour décrire le vrai travailleur autonome est l’électricien. Il fixe lui-même ses prix, il fait son horaire, il n’a aucun lien de subordination ( aucun intermédiaire entre le client et le travailleur) et il décide des outils de travail qu’il utilisera. Pour nous, ces quatre règles sont violées régulièrement. La compagnie fixe notre commission et notre horaire, elle achète le matériel qu’elle nous impose et qu’elle nous revend en se faisant du profit et il y a un lien de subordination. Par contre, aux yeux du Ministère du revenu, nous sommes de vrais travailleurs autonomes. Nous devons payer nos impôts comme eux. Nous n’avons pas le droit au chômage et nous payons toutes les charges des employeurs...
Quelles sont vos conditions de travail?
Extrêmement difficiles et elles se sont détériorées depuis les quinze dernières années. Le salaire est très précaire et instable. Les trois quarts des employés n’obtiennent même pas le salaire minimum. Nous n’avons pas droit aux congés fériés, ni aux vacances payées (et si c’est à nos frais, nous risquons de nous faire remplacer), ni aux congés maladie. Nous ne profitons pas des avantages sociaux, ni de la protection en cas d’accident. Nous n’avons aucune sécurité d’emploi et on ne nous reconnaît pas l’ancienneté…
Il existe environ trente compagnies de messageries à vélo à Montréal. Avec le système capitaliste dans lequel nous vivons, les compagnies doivent offrir des prix concurrentiels. Si les tarifs baissent, elles engagent plus de messagers pour offrir le service concurrentiel. Ainsi, il y a moins de travail pour les messagers et moins d’argent pour chacun. Tout le monde prend sa petite part du profit et nous sommes les derniers de la ligne. Aussi, si un employé veut avoir de meilleures conditions, s’il est un peu plus lent, s’il n’est pas aimé par le répartiteur… il n’obtient pas d’appel du répartiteur ou il accomplit les voyages difficiles. Dans certaines compagnies on engage des chauffeurs de véhicules qui font le même travail que nous. Ceux-ci sont souvent payés à la semaine; alors la compagnie leur donne les voyages les plus payants et celle-ci peut ainsi garder le profit car elle n’a pas de commission à sortir de ses poches.
Qu'est ce que vous avez fait jusqu’à maintenant pour améliorer vos conditions?
On a commencé par des soirées aux « Foufounes Électriques ». Les messagers se rencontraient là. Ça nous a permis de rencontrer plusieurs messagers de différentes compagnies. En automne 2000, il y a eu la réunion initiatrice de l’association des messagers à bicyclette de Montréal (AMBM.) Ce regroupement a ensuite organisé plusieurs courses et un journal « Le messager de Montréal »
Une marche à la mémoire de Nicolas Barkelay (garçon happé par une voiture pendant son travail).
Une présentation à la CSN et des conférences dans des organisations syndicales et populaires, une rencontre avec Mme Susan Heap (spécialiste en droit du travail). Des participations au FDNS pour la réforme de la LOI sur les Normes du travail.
Plusieurs parutions dans les journaux, un essai de plainte aux Normes du Travail contre Messagex,.
Une étude sur les pistes de solutions envisageables, une campagne syndicale.
L’obtention d’un local.
Prise de position à la commission sur le Virage à Droite au Feu Rouge.
Rédaction d’un mémoire contre le virage à droite.
Dépôt de plusieurs demandes d’accréditation avec le STTP au CCRI pour certaines compagnies.
Rédaction du journal « la Chronique des Courriers ».
Manifestation anti-teamstears (syndicat patronal utilisé par les compagnies pour contrer le syndicat des messagers).
Réunion officielle de l’AMAMM (Association des Messagers en Automobile du Montréal Métropolitain).
Entrevue aux Francs-Tireurs à Télé Québec…
Combien de personnes êtes-vous dans l’association?
Nous sommes environ 300 membres au total et 10 membres plus actifs.
Qu’est ce que vous trouvez le plus difficile dans votre lutte?
La lenteur. Chaque processus est très long. Ça nous a pris environ six mois à tout étudier : les plaintes aux normes, le processus de syndicalisation… ce sont de lourdes machines qui roulent lentement. Pendant que tout est lent, le roulement de personnel lui, est très rapide.
Quelles sont vos motivations à continuer malgré ces difficultés?
L’amour du métier! La conviction que ces conditions sont inacceptables et qu’on doit les changer. Nous sommes devenus un symbole. Nous sommes les premiers faux travailleurs autonomes à nous être rendus aussi loin dans cette lutte. De savoir que si tout le monde se dit qu’on accepte ces conditions sous prétexte qu’ils auront mieux plus tard, rien ne va changer et les conditions vont se dégrader.
Comment voyez-vous la suite?
Nous espérons accréditer toutes les compagnies et pouvoir négocier quelque chose. En attendant, on va continuer les courses, les participations à d’autres regroupements et nous réfléchissons à certains moyens de pression que nous pourrions prendre sans risque pour les travailleurs.
Félicitation à vous pour votre ténacité dans la lutte. Vous démontrez qu’au nom de la justice, de la dignité et du bien commun, il est possible d’améliorer la société. Bonne chance pour la suite! Tenez-nous au courrant!
Carole Lavoie
JOC Nationale du Québec